La PCR répond-elle vraiment aux besoins actuels du contrôle qualité agroalimentaire ?
La PCR offre-t-elle des résultats plus fiables que la culture bactérienne ? Explorez ses avantages et ses limites pour une…
Ces dernières années, de nombreuses méthodes de détection d’agents pathogènes ont émergées dans les industries alimentaires dont la Polymerase Chain Reaction (PCR). Cette technique d’amplification génomique peut être couplée à d’autres technologies afin d’augmenter la sensibilité, la spécificité ou la rapidité de détection1. Néanmoins, pour combiner la PCR à d’autres technologies, il est essentiel d’en comprendre son application, ses avantages mais aussi ses limites.
En effet, le terme PCR désigne l’amplification d’ADN et est en réalité un terme généraliste comprenant plusieurs technologies. Afin de s’y retrouver et d’en comprendre le principe, les méthodes clés utilisées pour la détection de pathogènes sont présentées. Cet article abordera également les principales problématiques du secteur à savoir : faut-il passer à la PCR pour augmenter la performance de tests ? Les résultats sont-ils plus fiables que la culture bactérienne ? Quelles en sont les limites ?
Sommaire
Actuellement, il existe une vingtaine de méthodes de PCR différentes pouvant être combinées entre elles. Certaines sont adaptées pour répondre à des contraintes techniques comme la Long Range PCR2 pour les longs fragments d’ADN ou la GC-rich PCR3 pour les fragments riches en nucléotides G-C. D’autres sont prévues pour une performance de test plus importante notamment la Touchdown PCR4, la Ligation-mediated PCR5 pour effectuer du typage bactérien.
Des méthodes telles que la Nested PCR6, la Hot start PCR7 visent à diminuer le risque d’amplification aspécifiques.
Plus récemment, la détection de pathogènes a pu être testée avec de la Direct PCR8 (méthode visant à effectuer une PCR sans purification d’ADN), la Fast PCR9 plus rapide, ou bien via la Multiplex PCR (méthode qui consiste à détecter plusieurs gènes dans un même échantillon de façon simultanée).
De par les caractéristiques techniques et scientifiques brièvement présentées ci-dessus, la PCR offre de nombreuses possibilités d’applications. Dans le cadre de la détection de bactéries pathogènes dans des matrices alimentaires, la PCR répond aux enjeux de rapidité, de sensibilité et de spécificité10. À condition que des contrôles appropriés soient inclus dans les analyses, la qPCR et la RT-qPCR semblent être très précises et fiables pour la quantification des gènes et l’expression des gènes11.
Dans certaines industries comme le lait, des études montrent que la PCR en temps réel (qPCR) est un outil fondamental de la « génomique alimentaire »12. La qPCR intègre une surveillance continue de la progression de la réaction, permettant ainsi la quantification de l’ADN cible. Cette méthode est également utilisée pour quantifier l’ADN animal et déterminer l’espèce animale. Cependant, des études ont montré que selon le pathogène détecté et le type de matrice (lait non pasteurisé, lait pasteurisé, yaourt, fromages, poudre de lait infantile, crème etc.) la limite de détection varie et peut passer du simple au double voire même d’un facteur dix13.
Les méthodes de détection présentent des défis et des limites, tels que l’extraction d’échantillons et la conception d’amorces spécifiques, qui doivent encore être surmontés. Les développements et les améliorations avancés des méthodes de détection moléculaire sont essentiels pour rendre la détection des agents pathogènes d’origine alimentaire plus fiable, plus sensible et plus rapide, afin de permettre une acquisition rapide des données.
Du fait de leur composition de divers éléments (glucides, lipides, protéines, minéraux, flore bactérienne, additifs etc.), les matrices alimentaires sont sans doute les matrices les plus complexes à analyser. Cela peut donc créer une incompatibilité de certaines matrices avec certaines méthodes analytiques14. Dans la plupart des cas, la conséquence peut être un résultat faussement négatif.
En effet, certaines molécules sont connues pour inhiber la PCR. Il a notamment été démontré que la PCR est inhibée par certaines quantités de chlorure de sodium, de saccharose et de lysine.
Le lait est bien connu pour son effet inhibiteur sur les techniques d’extraction d’ADN et la PCR. L’inhibition de la PCR dépend principalement de la concentration en calcium, alors que la teneur en matières grasses semble n’avoir qu’une influence mineure sur l’efficacité de l’amplification15. De plus, la protéase alcaline (appelée aussi plasmine), naturellement présente dans le lait dégrade la Taq polymérase et agit donc comme un inhibiteur16.
Des études ont montré que des matrices alimentaires complexes, comme le bœuf haché17, le poulet18, les fruits, les légumes et les fruits de mer, peuvent également inhiber l’amplification des acides nucléiques. Les polysaccharides cationiques présents dans les légumes, les fruits et les fruits de mer peuvent inhiber l’amplification des acides nucléiques en formant des solutions d’ADN très visqueuses. Ils peuvent également interférer avec l’initiation de l’amplification de l’ADN pour inhiber l’activité de l’ADN polymérase.
Pour pallier à ces contraintes techniques, certains prétraitements tels que l’homogénéisation (fruits, légumes et viandes) permet de libérer enzymes ou composants antimicrobiens qui interfèrent avec l’analyse et la détection en aval. Ces éléments ne seront donc pas retrouvés lors de l’analyse et serons éliminés lors des premières étapes expérimentales.
Des kits commerciaux d’extraction d’ADN ont augmenté le rendement de l’extraction et ont modifié la composition de leur réactif afin de s’adapter aux mécanismes d’inhibition19.
Ces études sont encore insuffisantes et n’ont pas été clairement établies. Les stratégies d'élimination mentionnées dans les études pour inhiber l'amplification des acides nucléiques sont plutôt limitées car elles ciblent uniquement des inhibiteurs spécifiques et il n'a pas été prouvé qu'elles étaient applicables à divers inhibiteurs. Par conséquent, de nouvelles études sur les inhibiteurs de l’amplification des acides nucléiques et les stratégies d’élimination des inhibiteurs sont nécessaires pour détecter les pathogènes.
Avant d’examiner les méthodes disponibles pour détecter les agents pathogènes d’origine alimentaire, il est important de rappeler ce que comprend le terme “viable” et à quels états métaboliques il correspond. En pratique, la viabilité se définit comme la capacité des cellules bactériennes à se répliquer dans les milieux de culture liquides ou solides20.
Les micro-organismes présents dans les aliments exposés à des stress ou à des conditions environnementales différentes peuvent exister dans divers états métaboliques ou phases de croissance. Certains de ces états, peuvent être transitoires et perdre la capacité de croître sur ou dans des milieux de culture en laboratoire. En plus de l’état de pleine compétence et viable, la littérature scientifique suggère que les micro-organismes présents dans les aliments, en particulier les bactéries, peuvent exister dans trois autres états métaboliques ou physiologiques :
Lésions sublétales
Exposition prolongée de traitements chimiques ou physiques20. Les fonctions cellulaires essentielles sont alors partiellement détruites20.
Viables mais non cultivables (VBNC) ou « persistants »
Activité métabolique faible qui peuvent être dû à stress osmotique, changement de pH, exposition à basse température, pasteurisation du lait, ajout de conservateurs alimentaires ou bien exposition à des désinfectants21, 23, 24. Elles sont détectables sur des milieux de culture non sélectifs (les gènes sont exprimés et les protéines sont produites)22. Tous ces phénomènes sont retrouvés lors du processus de transformation industrielle. C’est pourquoi, la majorité des bactéries pathogènes sont présentes sous cette forme.
Dormance
Ont une forme métabolique assez particulière du fait de leur arrêt métabolique non détectable par des tests de viabilité25. Ces souches ont donc la capacité de passer « en dessous des radars » et sont d’autant plus dangereuses. Cet état peut être provoqué lors d’un stress osmotique important ou un manque de nutriments.
Ces trois états peuvent conduire à un état physiologique viable cultivable dans des conditions de température et de croissance optimales. L’intérêt de les détecter dans les aliments est donc crucial afin d’assurer la santé du consommateur.
Plusieurs méthodes associées à la PCR pour détecter des agents pathogènes viables ont été reportées au cours des dernières années, notamment l’utilisation de colorants de viabilité cellulaire de phages (dosage sur plaque ou amplification et lyse des phages plus PCR/qPCR), immuno captures ou dosage enzymatique26. Néanmoins, ces études sont peu nombreuses et nécessitent d’être plus poussées.
C’est d’ailleurs pour cette raison que la plupart des industriels continuent de passer par une étape de pré-enrichissement afin d’être certain de détecter uniquement les bactéries en croissance. Toutefois, ce processus reste long, fastidieux à mettre en œuvre du fait des gestes répétitifs et du risque de troubles musculo-squelettiques (TMS).
La détection d’agents pathogènes à partir d’une matrice alimentaire complexe constitue un défi technique crucial pour les technologies analytiques via l’amplification d’acides nucléiques. Il est donc nécessaire d’évaluer et de mettre au point des techniques de prétraitement associées aux technologies de détection d’agents pathogènes de manière que le niveau de sensibilité et la spécificité ne soit pas affecté par la complexité des matrices alimentaires. La comparaison de performance des différentes méthodes de PCR reste un défi du fait de la variabilité intra-échantillon et du pathogène détecté. De plus, dans la littérature, les conditions testées sont différentes rendant l’harmonisation fastidieuse.
La mise en place d’une méthode de PCR dans un laboratoire de contrôle qualité nécessite d’effectuer des tests en amont de compatibilité et d’interaction matrice/bactéries/réactifs. La préparation de l’échantillon reste essentielle pour effectuer une PCR de qualité.
Actuellement, supprimer totalement la microbiologie notamment l’étape de pré-enrichissement reste un risque pour la discrimination des bactéries viables des non viables. En effet, l’utiliser en synergie avec des méthodes alternatives de biologie moléculaire reste la stratégie la plus adaptée en attendant que la recherche et les études soient suffisantes pour l’appliquer à une échelle industrielle de façon simple, rapide, intuitive et fiable. Les méthodes commerciales tentent également d’améliorer l’expérience utilisateur ce qui facilite la conduite du changement après plus de 50 ans passés à faire de la culture bactérienne.
1 Fung, F., Wang, H.-S. & Menon, S. Food safety in the 21st century. Biomed. J. 41, 88–95 (2018).
2 Jia, H., Guo, Y., Zhao, W. & Wang, K. Long-range PCR in next-generation sequencing: comparison of six enzymes and evaluation on the MiSeq sequencer. Sci. Rep. 4, 5737 (2014).
3 PCR-amplification of GC-rich regions: ‘slowdown PCR’ | Nature Protocols. https://www.nature.com/articles/nprot.2008.112.
4 Korbie, D. J. & Mattick, J. S. Touchdown PCR for increased specificity and sensitivity in PCR amplification. Nat. Protoc. 3, 1452–1456 (2008).
5 Krawczyk, B., Kur, J., Stojowska-Swędrzyńska, K. & Śpibida, M. Principles and applications of Ligation Mediated PCR methods for DNA-based typing of microbial organisms. Acta Biochim. Pol. 63, 39–52 (2016).
6 Green, M. R. & Sambrook, J. Nested Polymerase Chain Reaction (PCR). Cold Spring Harb. Protoc. 2019, (2019).
7 Green, M. R. & Sambrook, J. Hot Start Polymerase Chain Reaction (PCR). Cold Spring Harb. Protoc. 2018, (2018).
8 Direct PCR: A review of use and limitations – ScienceDirect. https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1355030619302862.
9 A roadmap to high-speed polymerase chain reaction (PCR): COVID-19 as a technology accelerator – ScienceDirect. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0956566323007728.
10 Chin, N. A., Salihah, N. T., Shivanand, P. & Ahmed, M. U. Recent trends and developments of PCR-based methods for the detection of food-borne Salmonella bacteria and Norovirus. J. Food Sci. Technol. 59, 4570–4582 (2022).
11 Recent advances in quantitative PCR (qPCR) applications in food microbiology – ScienceDirect. https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0740002011000505?via%3Dihub.
12 Agrimonti, C., Bottari, B., Sardaro, M. L. S. & Marmiroli, N. Application of real-time PCR (qPCR) for characterization of microbial populations and type of milk in dairy food products. Crit. Rev. Food Sci. Nutr. 59, 423–442 (2019).
13 Cattani, F., Barth, V. C., Nasário, J. S. R., Ferreira, C. A. S. & Oliveira, S. D. Detection and quantification of viable Bacillus cereus group species in milk by propidium monoazide quantitative real-time PCR. J. Dairy Sci. 99, 2617–2624 (2016).
14 Wang, Y. & Salazar, J. K. Culture-Independent Rapid Detection Methods for Bacterial Pathogens and Toxins in Food Matrices. Compr. Rev. Food Sci. Food Saf. 15, 183–205 (2016).
15 Polymerase chain reaction (PCR) detection of Listeria monocytogenes in diluted milk and reversal of PCR inhibition caused by calcium ions – PubMed. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/8936376/.
16 PCR inhibitors – occurrence, properties and removal – Schrader – 2012 – Journal of Applied Microbiology – Wiley Online Library. https://enviromicro-journals.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/j.1365-2672.2012.05384.x.
17 Thomas, E. J., King, R. K., Burchak, J. & Gannon, V. P. Sensitive and specific detection of Listeria monocytogenes in milk and ground beef with the polymerase chain reaction. Appl. Environ. Microbiol. 57, 2576 (1991).
18 Rapid detection of salmonellae in poultry with the magnetic immuno-polymerase chain reaction assay | Applied and Environmental Microbiology. https://journals.asm.org/doi/10.1128/aem.59.5.1342-1346.1993.
19 Xu, W. Adaptable Methods to Extract Nucleic Acid Targets and Evaluate Quality. in Functional Nucleic Acids Detection in Food Safety: Theories and Applications (ed. Xu, W.) 17–36 (Springer, Singapore, 2016). doi:10.1007/978-981-10-1618-9_2.
20 Stress, Sublethal Injury, Resuscitation, and Virulence of Bacterial Foodborne Pathogens – ScienceDirect. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0362028X22003738?via%3Dihub.
21 Espina, L., García-Gonzalo, D. & Pagán, R. Detection of Thermal Sublethal Injury in Escherichia coli via the Selective Medium Plating Technique: Mechanisms and Improvements. Front. Microbiol. 7, (2016).
22 Kint, C. I., Verstraeten, N., Fauvart, M. & Michiels, J. New-found fundamentals of bacterial persistence. Trends Microbiol. 20, 577–585 (2012).
23 Frontiers | Study on the Viable but Non-culturable (VBNC) State Formation of Staphylococcus aureus and Its Control in Food System. https://www.frontiersin.org/journals/microbiology/articles/10.3389/fmicb.2020.599739/full.
24 Liu, J., Yang, L., Kjellerup, B. V. & Xu, Z. Viable but nonculturable (VBNC) state, an underestimated and controversial microbial survival strategy. Trends Microbiol. 31, 1013–1023 (2023).
25 Setlow, P. Spores of Bacillus subtilis: their resistance to and killing by radiation, heat and chemicals. J. Appl. Microbiol. 101, 514–525 (2006).
26 Elizaquível, P., Aznar, R. & Sánchez, G. Recent developments in the use of viability dyes and quantitative PCR in the food microbiology field. J. Appl. Microbiol. 116, 1–13 (2014).
La PCR offre-t-elle des résultats plus fiables que la culture bactérienne ? Explorez ses avantages et ses limites pour une…